Durée
30h Th
Nombre de crédits
Master en philosophie, à finalité | 5 crédits | |||
Master en philosophie | 5 crédits |
Enseignant
Langue(s) de l'unité d'enseignement
Langue française
Organisation et évaluation
Enseignement au premier quadrimestre, examen en janvier
Horaire
Unités d'enseignement prérequises et corequises
Les unités prérequises ou corequises sont présentées au sein de chaque programme
Contenus de l'unité d'enseignement
Faire tableau à la Révolution. Peintures et fêtes.
I / Peintures, affects et temporalités complexes
Un historien (Jules Michelet) et un peintre (Jacques-Louis David) serviront de point de départ à notre enquête. À partir de leurs uvres respectives, dont on croisera les enjeux, on étudiera des problèmes de « poétique de l'histoire » (au sens donné par le philosophe Jacques Rancière dans Les noms de l'histoire, 1992) - relisant les propositions épistémologiques émanant du cadre de l'École des Annales, et examinant les manières dont le savoir historique se construit en nouant différents régimes d'expression. « Faire tableau » désignera l'une des modalités par lesquelles les événements de notre histoire commune accèdent au récit.
S'il est plus souvent considéré comme un « peintre conventionnel » que comme un peintre vraiment politique, Jacques-Louis David a néanmoins mené de front sa carrière de peintre et ses activités politiques (député à la Convention, organisateur de fêtes révolutionnaires, proche de Robespierre, protagoniste de la Terreur, etc.). Sans surprise, Michelet n'a pas été « emporté » par cette peinture. David était un peintre sérieux et moralisateur, dont le style tranchait avec celui de la peinture précédant la séquence de la Révolution française. On lui a tellement reproché la froideur solennelle de ses tableaux, les allusions antiquisantes rigides, le manque d'agilité de ses personnages, le sens strictement tragique des scènes peintes, qu'il est difficile aujourd'hui de prendre goût à ses uvres, comme de faire vaciller cette image sévère. On cherchera néanmoins à étudier le faisceau d'affects politiques/moraux mobilisés dans cette peinture (civisme, pitié, dévouement, etc.).
Il y a une question brulante liée à ces tableaux, que la peinture de David nous lègue : Qui est le peintre de la révolution française de 1789 ? À bien des égards, on dirait qu'il n'y a pas de peintre de la révolution. Bien sûr il y a eu des peintres pendant la révolution, beaucoup et bien formés (David le premier, David l'officiel, le peintre-roi du moment), mais malgré tout on sent que le tableau manque. Personne ne parvient à se hisser à la hauteur de ces événements déterminants ; aucun peintre ne parvient à être l'exact contemporain de la rupture révolutionnaire, à traduire directement l'énergie révolutionnaire dans l'ordre des représentations. Or l'inactualité de ceux qui cherchent à peindre le moment révolutionnaire n'a pas manqué de produire des rivalités : certains attribueront le titre de « vrai peintre de la Révolution » ou de « premier peintre à quitter l'Ancien régime » à Goya, Géricault ou Delacroix (pourtant plus tardifs). En plus de ces rivalités dont il faudra montrer le lien à la création, on considérera aussi dans ce cours les tableaux qui n'existent pas, qui auraient dû exister, qui auraient pu exister, ou qui existent dans les esprits. On s'intéressera à des tableaux disparus, comme le portrait de Le Peletier sur son lit de mort par David, intimement lié au Marat, que décrit C. Ginzburg. Deux séances seront aussi consacrées aux tableaux fantasmés : le tableau représentant le Comité de salut public par le peintre François-Elie Constantin dans Les Onze de Pierre Michon ; le tableau du peintre raté Évariste Gamelin dans Les dieux ont soif d'Anatole France. Ces analyses permettront de se demander quelle vérité la fiction peut endosser.
II / Fêtes révolutionnaires
La question de la fête est tout-à-fait primordiale et n'a pas la légèreté qu'on pourrait lui soupçonner. Comme l'indique Starobinski, les « transformations intérieures du siècle » peuvent se lire dans les changements « que subit la cérémonie plurielle du plaisir ». Le passage entre l'Ancien Régime et l'ère ouverte par la Révolution se manifeste dans la manière dont on pense et dont on pratique la fête : de la fête galante à la fête austère, on perçoit forcément une rupture radicale. Mais cette rupture ne se fait pas d'un coup. Dès le début du 18e siècle, on observe un évident détachement par rapport aux fêtes royales, une désinvolture, voire une distance ironique - qu'il sera intéressant de décrire. Ce qui permet d'analyser le « type » de fête privilégiée par le siècle, c'est bien entendu son aspect collectif. Les fêtes d'Ancien régime n'étaient pas des fêtes qui forgeaient le collectif (où se dégagerait quelque chose comme le peuple). Elles étaient des fêtes « exclusives », des fêtes égocentriques, qui éveillaient des solitudes, permettaient de pavaner individuellement, de s'augmenter dans le jeu des parades et des apparats du pouvoir. Mais au 18e siècle, l'exclusivité de la fête commence à s'effriter, on se désintéresse de la fête « réservée », dans laquelle on a sa place (comme au théâtre son alcôve - qui permet de recevoir les prétendants, qui permet des jeux à la fois spectaculaires et pourtant intimes). La fête qui glorifie chacun individuellement, qui augmente chacun en son plaisir jaloux, commence à perdre de sa vigueur idéologique. Si l'on suit la généalogie de la fête que retrace notamment Starobinski, on observera une logique dont le moment « négatif » pourrait être décrit comme un moment iconoclaste (destruction des images de l'Ancien régime, et de notre attachement à elles), dont on pressent qu'il sera suivi d'un moment de création de nouvelles formes, qui effectivement, doivent être inventées, construites, en particulier dans l'épisode de la Révolution française. David jouera ce rôle-là, un rôle de créateur de formes à haute valeur symbolique pour la République. Il inventera des chorégraphies politiques, des cérémonies, des costumes, des monuments, etc. - où se déploie une inventivité qu'on ne peut pas lui nier. Mais à bien des égards, l'austérité de David fait figure de lendemain de fête (la question de la temporalité propre à la fête politique sera envisagée, en particulier le motif du « lendemain »). Pourtant, des fêtes d'un type nouveau sont effectivement apparues avec la République, des fêtes officielles mais populaires, des fêtes processuelles prenant place dans les rues, vouées à mettre en spectacle la naissance d'une communauté nouvelle (cf. Ozouf, La fête révolutionnaire). Dans son Histoire de la Révolution française, Michelet insiste lui-même sur cette dimension spectaculaire/vivante du « faire tableau », décrivant par ex. la reconstitution de la Marche des femmes pour la fête du 10 août 93.
Acquis d'apprentissage (objectifs d'apprentissage) de l'unité d'enseignement
Exercer les étudiant·es à l'examen de problèmes épistémologiques de "poétique de l'histoire". Montrer le caractère déterminant de la séquence révolutionnaire de 1789 pour l'invention d'une nouvelle manière de construire les savoirs liés aux événements politiques déterminants. Examiner le "faire tableau" et les modalités multiples de représentation des affects moraux ou politiques.
Savoirs et compétences prérequis
Néant.
Activités d'apprentissage prévues et méthodes d'enseignement
Rédaction d'un travail portant sur l'un des aspects de la thématique abordée au cours.
Mode d'enseignement (présentiel, à distance, hybride)
Cours donné exclusivement en présentiel
Explications complémentaires:
Durée et période : 30 heures, 1er quadrimestre.
Lieu d'enseignement et horaire : salle A2/2/5, vendredi de 10h à 13h.
Lectures recommandées ou obligatoires et notes de cours
Bibliographie informative (d'autres références seront données au fur et à mesure des leçons, qui seront susceptibles de servir d'appui pour le travail écrit) :
-Jacques Rancière, Les noms de l'histoire. Essai de poétique du savoir, Paris, Seuil, 1992.
-Jules Michelet, Histoire de la révolution française, 4 volumes, Paris, Gallimard, 1952.
- « L'exécution de Louis XVI (21 janvier 93) », Tome II volume I / Livre IX chapitre XIII
- « Mort de Marat », Tome II volume I / Livre XII chapitre III
- « Mort de Charlotte Corday », Tome II volume I / Livre XII chapitre IV
- « Fête du 10 août 93 », Tome II volume I / Livre XII chapitre VII
- « Le tyran », appendice au Tome II volume II.
-Jules Michelet, La Sorcière, Paris, Gallimard, 2016.
-Anatole France, Les dieux ont soif
-Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, livres 5, 8 & 9, 11.
-Pierre Michon, Maitres et serviteurs, Paris, Verdier, 1990.
-Pierre Michon, Les Onze, Paris, Gallimard, rééd. de : Verdier, 2009.
-Eric Vuillard, 14 juillet, Paris, Actes Sud, 2016.
-Jean Starobinski, L'invention de la liberté. 1700-1789 suivi de Les emblèmes de la Raison, Paris, Gallimard, 2006.
-Carlo Ginzburg, « David, Marat. Art, politique, religion », Peur, révérence, terreur. Quatre essais d'iconographie politique, Paris, Les presses du réel, 2013.
-Régis Michel, Géricault. L'invention du réel, Paris, Gallimard, 1992.
-Nina Athanassoglou-Kallmyer, Théodore Géricault, Phaidon, 2010.
-Simon Lee, David, Phaidon, 2002.
-Marguerite Yourcenar, Le cerveau noir de Piranèse, Paris, Gallimard, 2016.
-Mona Ozouf, La fête révolutionnaire. 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976.
-Mona Ozouf, « La fête. Sous la Révolution française », dans Jacques Le Goff & Pierre Nora, Faire de l'histoire, t. 3, Nouveaux objets. Paris, Gallimard, 1974.
-Les Cahiers du GRIF, n° 5, « Les femmes font la fête font la grève », 1974.
Modalités d'évaluation et critères
Examen(s) en session
Toutes sessions confondues
- En présentiel
évaluation écrite
Travail à rendre - rapport
Explications complémentaires:
Toutes sessions confondues :
Travail écrit.
Stage(s)
Remarques organisationnelles
Néant.
Contacts
Enseignant titulaire
Hagelstein (Maud.Hagelstein@ulg.ac.be)
Cormann (Gregory.Cormann@ulg.ac.be)